Hier, une barre de fer s'était accrochée à mon lobe frontal. Même si parfois je vis des baisses d'énergie et d'enthousiasme, hier, c'était la première fois que je me sentais ainsi au Mali : vide et incapable de regarder autour de moi avec des yeux curieux comme j'ai l'habitude de le faire. J'ai rapidement quitté l'ASDAP une fois le travail terminé : j'ai rempli ma gourde d'eau fraîche, salué quelques employés et pris le raccourci dans la ruelle, là où on passe habituellement pour éviter le goudron du Gouverneur, ce goudron quand même assez achalandé, ce qui accentue les salutations. Bref, je voulais avoir la paix.
J'ai gardé mon sourire et mon habitude de saluer les gens que je croise - selon certaines de mes collègues, je salue un peu trop les gens. Et j'ai rencontré deux jeunes de mon âge avec qui j'ai décidé de m'assoir, peut-être étaient-ce des marchands parce qu'ils étaient assis en arrière d'un comptoir à bonbons au coin de deux ruelles ou bien des jeunes sur le chômage, comme des dizaines d'autres dans cette ruelle. L'un m'a offert quelques arachides. Mmmm ! des arachides ! même molles, elles goûtent bon. J'ai rapidement appris qu'ils étaient Coulibaly.
J'ai usé de mes talents de cousinage pour les faire rire : j'ai imité le singe en le mimant en train de se gratter et de monter l'arbre devant nous. Ils ne se pouvaient plus de rire, moi aussi d'ailleurs. Et ce qui est magique dans tout ça, c'est qu'ils ne comprenaient pas le français, et moi à peine le bambara. Nous avons quand même passé quelques minutes de notre vie à essayer de se comprendre et à rire de la famille de l'autre.
J'ai continué ma route, salué avec plus d'enthousiasme que tantôt des bonnes en train de laver des pagnes, un gardien ouvrant la grosse porte de métal pour que son maître puisse sortir la voiture, une madame sérieuse et bourgeoise sans sourire que j'ai réussi à transmettre un petit sourire en coin, peut-être à cause de mon accent, et puis un groupe d'enfants super contents de pouvoir me dire Bonsoir sur la même intonation que tous les petits enfants qui s'amusent à imiter les Toubabous.
Et puis, après d'autres sourires et d'autres salutations, j'ai rencontré Blaise, cet homme de mon âge qui a quitté le Burkina Faso il y a 6 mois à cause de la guerre. Il est maintenant gardien dans cette maison abritant une association pour femmes. Cet emploi l'ennuie un peu, lui qui aime l'action, qui se trouve trop jeune pour effectuer un emploi qui demande en grande partie à effectuer des tâches routinières et à attendre que les maîtres aient des commissions pour lui. J'ai appris qu'il est maçon depuis son enfance. Cet emploi de gardien, ce n'est que provisoire. C'est pour la survie et pour les contacts. Il prévoit donner sa démission à la fin du mois, confiant d'avoir trouvé un boulot directement dans son domaine. Il a commencé à travailler là-bas. Il ne lui reste que 6 mois à vivre ici, le gouvernement du Mali en a décidé ainsi. De toute façon, sa famille lui manque énormément. Je lui ai fait part de mon ennui aussi, de ma journée que j'avais trouvé longue et de mon manque d'enthousiasme. Nous avons discuté du Canada, mais surtout de l'atelier de meubles juste en face de nous, complètement à l'extérieur. Ici, ce qui est fabriqué à la main vaut beaucoup moins que ce qui est fabriqué par des machines. Ici, le travail d'une machine est vénéré. Je lui disais que dans notre cas, un artisan du bois, par exemple, pouvait vendre ses meubles beaucoup plus cher que ce qui est fabriqué à la chaine. Cette discussion m'a libéré un peu plus encore que les deux Coulibaly mangeurs d'arachides. Et puis j'ai continué ma route.
J'ai gardé mon sourire et mon habitude de saluer les gens que je croise - selon certaines de mes collègues, je salue un peu trop les gens. Et j'ai rencontré deux jeunes de mon âge avec qui j'ai décidé de m'assoir, peut-être étaient-ce des marchands parce qu'ils étaient assis en arrière d'un comptoir à bonbons au coin de deux ruelles ou bien des jeunes sur le chômage, comme des dizaines d'autres dans cette ruelle. L'un m'a offert quelques arachides. Mmmm ! des arachides ! même molles, elles goûtent bon. J'ai rapidement appris qu'ils étaient Coulibaly.
J'ai usé de mes talents de cousinage pour les faire rire : j'ai imité le singe en le mimant en train de se gratter et de monter l'arbre devant nous. Ils ne se pouvaient plus de rire, moi aussi d'ailleurs. Et ce qui est magique dans tout ça, c'est qu'ils ne comprenaient pas le français, et moi à peine le bambara. Nous avons quand même passé quelques minutes de notre vie à essayer de se comprendre et à rire de la famille de l'autre.
J'ai continué ma route, salué avec plus d'enthousiasme que tantôt des bonnes en train de laver des pagnes, un gardien ouvrant la grosse porte de métal pour que son maître puisse sortir la voiture, une madame sérieuse et bourgeoise sans sourire que j'ai réussi à transmettre un petit sourire en coin, peut-être à cause de mon accent, et puis un groupe d'enfants super contents de pouvoir me dire Bonsoir sur la même intonation que tous les petits enfants qui s'amusent à imiter les Toubabous.
Et puis, après d'autres sourires et d'autres salutations, j'ai rencontré Blaise, cet homme de mon âge qui a quitté le Burkina Faso il y a 6 mois à cause de la guerre. Il est maintenant gardien dans cette maison abritant une association pour femmes. Cet emploi l'ennuie un peu, lui qui aime l'action, qui se trouve trop jeune pour effectuer un emploi qui demande en grande partie à effectuer des tâches routinières et à attendre que les maîtres aient des commissions pour lui. J'ai appris qu'il est maçon depuis son enfance. Cet emploi de gardien, ce n'est que provisoire. C'est pour la survie et pour les contacts. Il prévoit donner sa démission à la fin du mois, confiant d'avoir trouvé un boulot directement dans son domaine. Il a commencé à travailler là-bas. Il ne lui reste que 6 mois à vivre ici, le gouvernement du Mali en a décidé ainsi. De toute façon, sa famille lui manque énormément. Je lui ai fait part de mon ennui aussi, de ma journée que j'avais trouvé longue et de mon manque d'enthousiasme. Nous avons discuté du Canada, mais surtout de l'atelier de meubles juste en face de nous, complètement à l'extérieur. Ici, ce qui est fabriqué à la main vaut beaucoup moins que ce qui est fabriqué par des machines. Ici, le travail d'une machine est vénéré. Je lui disais que dans notre cas, un artisan du bois, par exemple, pouvait vendre ses meubles beaucoup plus cher que ce qui est fabriqué à la chaine. Cette discussion m'a libéré un peu plus encore que les deux Coulibaly mangeurs d'arachides. Et puis j'ai continué ma route.
Ma balade arrivait à sa fin quand j'ai salué une femme un peu ronde. Elle m'a rapidement dit qu'elle venait de la Côte d'Ivoire, qu'elle était en vacances depuis un mois. Moi j'étais ici comme volontaire, animateur sur des sujets tels que le VIH/SIDA, les IST, les préservatifs, etc. Puis elle a dit que son mari était musicien. Quel hasard, mon père aussi. Elle m'a donc invité à le rencontrer. C'était à quelques pas de notre salutation, derrière une porte rouillée et de grands murs sans intérêt. C'est derrière ces murs que j'ai serré la main de cinq musiciens, tous la cigarette à la bouche. L'un d'eux semblait faible, recouvert de bosses de chairs sur la peau du visage et sur les bras. Une idée m'a traversé l'esprit : a-t-il le SIDA ? Et puis il y avait cet homme, le leader du groupe je crois bien, une grande Cora (instrument à cordes, celui-ci avait 12 cordes) à ses pieds.
Ils m'ont parlé de leur groupe, de leurs projets, de leur difficulté à se faire connaître. Ils jouent de la musique traditionnelle principalement pour les enfants. Ils participent à un projet avec les jeunes délinquants, ils font de la musicothérapie, sauf, comme ils m'ont dit, ils ne peuvent pas être reconnus officiellement comme tel parce qu'ils n'ont pas de formation en psychologie. Le joueur de Cora s'est mis à jouer et à chanter. Un autre a sorti une barre de fer recouverte et un petit bâton en métal, puis s'est mis à jouer en le frottant dessus. Un autre s'est levé, s'est mis à taper des mains et dansait en chantant. Je l'accompagnais dans le tapage de mains, mon seul talent en musique. Deux autres chantaient pendant quelques refrains. Le monsieur maigre regardait le vide, passif. Je le regardais par moment en souriant pour lui dire que j'appréciais beaucoup ce que j'étais en train de vivre. Je crois qu'il comprenait ma joie. Il me souriait à son tour.
Quatre morceaux plus tard, et mes mains devenues rouges, je les ai tous remerciés pour ce moment. Je n'ai pas hésité à dire au joueur de Cora que sa musique et sa voix avaient arraché ma tristesse de la journée. Nous nous reverrons qu'on s'est dit. La femme un peu ronde m'a accompagnée jusqu'au gros goudron. Elle aimerait en savoir plus sur le VIH/SIDA la prochaine fois que j'irai voir jouer son mari.
En une marche, mon humeur a basculé pour le mieux. Je répète les dires de plusieurs Maliens : les gens sont tellement sympathiques ici qu'il n'est pas possible de déprimer. Il y aura toujours quelqu'un pour discuter de nos soucis.
Bravo David!
RépondreSupprimerÀ mon avis, ce dernier billet frôle la perfection... Ça « sent » la grande littérature... On s'en reparlera à ton retour...
Guy
Salut David,
RépondreSupprimerLes rencontres fortuites qui ont contribué à dissiper ton ennui, on appelle ça des "anges de la route" selon un terme entendu à l'émission "La Course Destination Monde" diffusée à Radio-Canada il y a plusieurs années.
Bonne journée et profite le plus richeement possible de tes deux dernières semaines au Mali où tu ne vas pas si souvent!
Anne-Marie C.
David,,fred pellerin n,a qu,as se rhabiller..tu as de tres grand talent de conteur...
RépondreSupprimer«danielle-katia centre admin